des mélancolies hors d'usage.
le carnaval est permanent.
Lundi 23 mai 2005.
Quatorze heure trente-deux.Sur son petit balai, elle vole. Ras du sol, évitant parfois à la dernière minute les obstacles. Les meubles deviennent des cognards, lui infligeant de gros bleus sur les bras et les jambes. Si elle n'est pas assez agile pour les esquiver. Et cette mouche qu'elle a pris soin de libérer dans le salon, devient une toute petite boule dorée. Ses ailes, toutes agitées, font piquer ses yeux, qu'elle garde grands ouverts. Le vif d'or. Ne jamais le laisser s'enfuir. Cinq mille points pour Serpentard, si elle l'attrape ! Une boule de papier froissé dans la main, elle tente de marquer contre ces Poufsouffles stupides. Elle joue tous les rôles. Elle est une équipe à elle seule.
Le vif d'or est là. Tout près. Elle tend la main. Quelques centimètres seulement.
La porte claque. La voix résonne. Comme toujours. Dans les moments où elle s'amuse. «
Ethel ! Descends tout de suite de ce foutu balai ! Je te l'ai déjà dit, non ? Tu n'écoutes pas quand je te parle, n'est-ce pas ? Tu n'es qu'une petite écervelée. Tu seras punie, pour ça. »
Elle s'arrête en plein vol. Saute à terre. Rouvre sa main. Et libère le vif d'or qui part voleter, un peu plus loin, les ailes abîmées.
Les yeux vers le sol, elle approche de sa mère.
Qui attrape le mini-balai. Et le casse en deux.
Une boule se forme dans sa gorge. Mais elle ne pleure pas.
Les sentiments sont prohibés. Un mal à proscrire.
Samedi 12 août 2006.
Neuf heure dix-sept.Ethel s'approche de Crowley. L'elfe de maison. Ce petit être, un peu particulier, la fascine. Il est toujours gentil et serviable. Il fait toujours tout ce que ses parents lui demandent. Et il ne se plaint jamais. C'est normal, d'après sa mère. Il est fait pour ça. Il est programmé. Il doit leur obéir, c'est inscrit dans son sang. D'ailleurs, il paraît que son sang n'a aucune valeur. Et elle ne comprend pas bien comment c’est possible qu’un sang ait plus de valeur qu’un autre. C’est pareil pour tout le monde : si le sang coule, il est rouge. Et s’il continue de couler, si personne ne l’épanche… S’il quitte un corps, en de lourdes gouttes, en un filet écarlate ; alors, peu importe notre statut. On s’éteint. C'est un liquide précieux. Sans nuance ou distinction.
Ses parents le traitent comme un esclave et jamais il ne dit quoi que ce soit. Il a même l'air heureux, souvent, de faire toutes ces corvées. C'est comme s'il les remerciait de l'écraser constamment.
Et s'ils viennent à dire qu'ils ne sont pas satisfaits, Crowley s’empresse d’aller frapper sa tête n'importe où. Se laissant même, souvent, tomber du haut de l'escalier. À chaque fois, le cœur d'Ethel se fissure un peu plus.
Elle veut l'aider. Rendre sa vie un brin moins pénible. Alors, cette fois, elle suit l'exemple de ses parents et ordonne. Elle lui ordonne de la laisser l'aider. Et avec lui, elle accompli quelques tâches. Nécessaires mais pourtant jugées ingrates.
Tous les deux s'en mordent finalement les doigts. Littéralement, pour Crowley.
On n'aide pas les elfes de maison. On aide personne, d'ailleurs. On doit se contenter d'ordonner et d'attendre. De réclamer et de molester.
Samedi 30 juin 2007.
Seize heure cinq.Elle joue. Cheveux en bataille et doigts sales. Elle invente, elle construit. Et elle n'est pas seule. Elle a un ami, pour la première fois. Un petit garçon. Le voisin, un peu malingre. Et il imagine, avec elle.
Et à deux, c'est un monde entier qu'ils bâtissent ! Plein de vie et de magie enfantine.
Quand elle regarde au fond de ses yeux, elle voit un futur qui lui plaît. Une amitié facile et sans heurt.
Une relation éphémère. Interdite. Dégradante.
La petite dépravée partage son imaginaire, qui se délite, avec un cracmol. Une honte. Inimaginable.
La nourrice s'en fiche. Elle la laisse s'épanouir. Pendant qu'elle joue, elle la laisse tranquille.
Mais sa mère revient. Les voit. Apprend. Comprend. Devient agressive. Elle lui crache que ce n'est pas sa place. Qu'elle ne doit en aucun cas côtoyer ces moins que rien.
Traître à son sang. Des mots qui fusent et qu'elle entend sans les saisir. Des mots qui la blessent quand même.
La mère, ivre d'une colère sourde, pousse le garçon. Sa tête heurte le sol. Puis elle attrape sa fille par le bras. Et la tire, durement, jusque chez elle.
La nourrice est renvoyée. Ethel est punie. Comme d'habitude. Ce monde vicieux dans lequel elle doit évoluer la révolte.
Elle n'a que le droit de ne rien à dire. Alors, encore une fois, elle se tait. Et sous son crâne, la haine bouillonne. La rage mâche son cœur qui, doucement, se durcit.
Vendredi 1er janvier 2010.
Trois heure cinquante-neuf.Dans ce lit, trop grand pour la petite fille qu'elle est encore, elle tourne. Et se retourne. Elle est énervée. Sans trop savoir pourquoi. C'est comme si beaucoup de choses tentaient, d'un coup, de se frayer un chemin dans son esprit. Des doutes et des questions. Sans aucune réponse satisfaisante. Ou cohérente.
Tout s'entrechoque et s'emmêle. Une voix désincarnée pollue son esprit. Un excès fait exploser toutes ses pensées. En un arc-en-ciel qui n'est que nuances de gris. En un feu d'artifice qui brûle et enflamme. Qui fait crépiter chacune de ses terminaisons. Et qui grille un peu ses sens.
Elle suffoque. Se sent étriquée. L'oxygène lui manque. Son coeur semble être serré dans un étau. Elle transpire. Aux prises avec des démons qu'elle ne peut pas maîtriser. Parce qu'elle est encore trop jeune. Trop peu consciente. Incapable de mettre un mot, exact, sur ce mal ; sur ces maux.
Elle ne comprend pas tout. Mais elle prend une décision. Une sorte de résolution.
Elle décide de changer. Comme elle le peut, en s'infiltrant dans les failles des contraintes.
Et pour appuyer la radicalité et la sincérité de cette décision profonde qui semble stupide, elle rejette celle qu'elle était. Son identité est un problème. Son prénom, le reflet de ce qu'elle abhorre.
Cette nuit, Adhara éclipse Ethel.
Jeudi 11 août 2011.
Midi. Pile.Un jour particulier. Un jour important. Un jour exceptionnel. Adhara reçoit sa lettre. Du directeur de Poudlard. Ce n'est pas une surprise. On lui répète depuis sa naissance qu'elle ira. Mais ça reste merveilleux, pour elle. C'est un instant unique. Magnifique. Qui la fait se sentir bien. Heureuse. Importante. Presque désirée. Reconnue, surtout.
Elle existe. Maintenant, elle en est pleinement consciente.
Un sourire tord ses lèvres. Là-bas, elle sera qui elle veut être. Celle qu'elle est vraiment. Personne ne la connaitra. Personne ne la jugera. Rosebury est un nom plutôt répandu. Elle pourra éviter le stéréotype insensé qu'on lui collera dessus, si elle n'est qu'une simple 'fille de'.
Elle pourra quitter cet endroit. Cette famille fourbe. N'y revenir qu'occasionnellement. Elle n'aura plus qu'à feindre à temps partiel.
Elle serre, un instant, cette lettre contre son coeur. Cette délivrance. Tant attendue.
Bientôt, elle sera à sa place. Bientôt.
Pour l'instant, elle se cache sous un masque d'impassibilité. Et apporte ces feuilles à sa mère.
undi 3 novembre 2014.
Dix-sept heure vingt-huit.Elle retient ses poings. Plus difficile encore, elle retient ses mots. Elle ne cédera pas. Elle tente de ne pas céder. Si elle ne part pas, elle cède. Elle va craquer. Ce pauvre mec va la rendre folle. C'est sûr.
Elle se détourne de lui et s'éloigne. Mais il la rattrape, lui serre le coude. Et son ton devient plus agressif.
Adhara sent la pression, sous son crâne. Respiration saccadée, membres tremblants.
Il l'insulte. L'empêche de s'en aller. Alors, comme elle ne peut pas fuir, elle agit. Et le frappe. L'os saillant de sa pommette lui fracasse les phalanges. Et quand il s'éloigne en vacillant, elle attrape sa baguette. Et la pointe sur lui. Avec une seconde de retard, il réagit de la même façon. Et prend la même position. Mais un sort vient le frapper. Et le maintient au sol.
Elle se bat contre elle-même pour ne pas en profiter. Elle résiste à la tentation de s'acharner. Et elle s'en va. Le laissant au sol.
Les répercussions sont presque instantanées. Le gamin est un né-moldu. On la transforme en bourreau. L'autre devient victime. Elle voit la haine dans certains regards. Elle lit des félicitations dans d'autres.
Sa mère est fière d'elle. Elle pense comme les autres qu'elle l'a tabassé à-cause du statut de son sang.
Personne n'écoute ce qu'elle a à dire. On la juge coupable.
Et on la porte aux nues. Enfin, elle fait honneur à sa famille. De dégénérés.
Dimanche 27 décembre 2015.
Sept heure seize.Sa mère est emprisonnée. Tortures. Meurtres. Les mots se succèdent. Se ressemblent. S'abattent. À chaque fois, comme un Doloris qui tord le corps de son père. À chaque fois, comme un souffle frais et parfumé, qui s'engouffre à l'intérieur d'elle.
Azkaban devient sa nouvelle maison. Presque aussi accueillante qu'elle. Elle ne peut s'empêcher un sourire en coin satisfait. Elle pense, hurlant à l'intérieur de son crâne, un «
Enfin... Bien fait.», que sa mère, dans un dernier regard, semble capter. Elle a compris. Elle en est sûre.
Cette mère. Indigne. Qui, même en prison, continue à obscurcir sa vie. Elle sent son ombre, qui plane. Et elle a beaucoup de mal à s'en détacher. Elle garde sur elle une emprise qui la répugne. C'est incompréhensible.
Mais elle n'est plus là. Physiquement. Le manoir n'est plus emplit de sa voix insupportable et de ses horribles mots. Et c'est déjà un peu comme si elle avait gagné une bataille.
Si elle avait pu, elle aurait fêté l'événement. Mais devant son père, elle doit faire attention à ce que le masque ne tombe pas. Elle s'autorise quelques fissures. Presque invisibles. C'est tout. C'est mieux.